Projet de recherche B2/202/P2/Iguanodon2 (Action de recherche B2)
En 1878, une des plus fabuleuses découvertes paléontologiques de tous les temps a été réalisée dans le désormais célèbre charbonnage de Bernissart : plus de 25 squelettes complets et articulés du dinosaure Iguanodon, donnant aux scientifiques et au public une démonstration impressionnante de ce à quoi ressemblaient réellement les dinosaures. Dès 1878, le trésor de Bernissart est devenu un atout majeur du patrimoine scientifique belge, a été confié aux soins de l'État belge et déposé au Musée royal d'Histoire naturelle de Belgique (MRHNB : aujourd'hui Institut royal des sciences naturelles de Belgique, IRSNB) à Bruxelles. L'étonnante collection de squelettes d'Iguanodon reste l'une des expositions de dinosaures les plus impressionnantes au monde et la principale attraction pour les visiteurs du musée de l'IRSNB.
Malgré leur taille énorme et leur morphologie robuste, les squelettes des Iguanodons de Bernissart sont extrêmement fragiles. Après leur mort autour d'un marécage il y a 125 millions d'années, les carcasses ont été rapidement recouvertes par des sédiments argileux et leur décomposition s'est produite dans un environnement dépourvu d’oxygène. Dans ces conditions, les bactéries sulfato-réductrices ont produit, par hydrolyse de la matière organique présente dans ce milieu, du sulfure d'hydrogène qui, en se combinant avec le fer détritique et biologique, a provoqué la cristallisation d'une pyrite abondante dans les pores des os. Au contact de l'air humide, la pyrite s'oxyde et conduit inévitablement à la désintégration de l'os environnant. Dès que les ossements des Iguanodons ont été extraits de la fosse de Bernissart, ce processus a conduit à leur fragilisation. Une fois arrivés à Bruxelles, les os furent imprégnés d'une gélatine à base de colle de menuisier et la pyrite fut systématiquement extraite des os.
À partir de 1902, les squelettes des Iguanodons furent installés de façon permanente dans la nouvelle aile Janlet du Musée royal d'Histoire naturelle de Belgique. Onze spécimens complets furent exposés en position présumée de vie, tandis que douze individus plus ou moins complets et huit fragmentaires furent présentés in situ, toujours partiellement enrobés de leur matrice rocheuse.
Entre 1933 et 1937, tous les squelettes furent démontés pour traiter les importants dommages résultant de 30 ans d'exposition à des températures et taux d’humidité variables. De 2004 à 2007, tous les squelettes d'Iguanodon ont été à nouveau entièrement restaurés. À cette occasion, l'IRSRB s'est rendu compte que les campagnes de restauration précédentes, à la fin du 19e siècle et dans les années 1930, n'avaient pas été documentées, ce qui donnait le sentiment désagréable de travailler dans l'obscurité.
Le présent projet vise à assurer la conservation et le stockage à long terme de cette collection unique et fantastique, tout en augmentant sa valeur scientifique et en régénérant son potentiel de communication scientifique. Nous utiliserons une batterie de méthodes de pointe pour comprendre la nature et l'étendue des restaurations passées, évaluer l'intégrité physique actuelle des spécimens, proposer un nouveau protocole cohérent de suivi, et réaliser la première restauration numérique des Iguanodons de Bernissart.
Nous proposons :
(1) Des cartographies 3D détaillées, à l’échelle macro- et microscopique, de spécimens sélectionnés afin d'identifier les zones restaurées, les zones d'accumulation préférentielle de pyrite à l'intérieur des os, et les techniques de restauration utilisées à partir de la fin du 19ème siècle ; pour cela, nous utiliserons l'imagerie à rayons X, des tomographies et des micro-tomographies.
(2) Analyses paléohistologiques du tissu osseux fossilisé à l'aide de méthodes non destructives (tomographies, micro- et nano-tomographies) pour évaluer les dommages à l'échelle nanométrique causés à la microstructure osseuse par la pyrite et ses minéraux dérivés. Afin de documenter les techniques de restauration utilisées à différents moments de l'histoire et de cataloguer les dommages causés par la décomposition de la pyrite, des cartes géochimiques à haute résolution (25 µm) des éléments majeurs et en traces seront produites à l'aide de techniques non-invasives et non-destructives telles que la fluorescence micro-X (µXRF), le LIBS et la spectroscopie infrarouge couplée à la microscopie à force atomique (AFM-IR).
(3) Parallèlement à (2), une caractérisation géochimique quantitative complète des os "frais" et traités sera effectuée à l'aide de la spectroscopie XRD et de la spectroscopie infrarouge (FTIR, AFM-IR). A l’aide d’analyses histologiques virtuelles, on cherchera également à savoir si les différents traitements ont réellement stabilisé la microstructure osseuse et les dommages causés par la pyrite.
(4) Un protocole de prothèse osseuse, où les os lourds et de grande taille seront scannés en surface, rétro-déformés si nécessaire et imprimés en 3D dans leur forme exacte in-vivo. Les prothèses et les os rétro-déformés seront imprimés en 3D et ajoutés aux spécimens exposés afin d'assurer une conservation optimale des os à risque tout en maintenant les spécimens exposés.
(5) Identification des zones de fragilité préférentielles dans les os fossilisés d'Iguanodon. Les données issues des tomographies, micro-tomographies et des scans de surface seront soumises à une modélisation mécanique numérique. Ces analyses seront utilisées pour identifier les zones de fragilité préférentielles dans les squelettes des Iguanodons de Bernissart, à traiter en priorité par des programmes de restauration ultérieurs. Cette approche conduira dans le futur à des mesures de conservation plus ciblées et focalisées.
(6) Ces analyses serviront à établir un protocole de conservation préventive et curative pour assurer la préservation à long terme de l'ensemble de la collection Bernissart, qui contient également des dizaines de tortues, crocodiles, poissons et plantes. Dans le même temps, les ossements fragilisés d'Iguanodon seront déplacés vers des dépôts plus sûrs et remplacés par des modèles imprimés en 3D. Ce projet servira de référence pour la conservation curative des squelettes de dinosaures dans le monde entier.