Projet de recherche B2/212/P2/BeAM (Action de recherche B2)
À la fin du XIXe siècle, les innovations scientifiques, industrielles et technologiques ont donné naissance à une idée collective de progrès. C'est dans cet esprit de recherche de la nouveauté que le modernisme a vu le jour dans l'art, aboutissant à l'un des développements artistiques les plus importants depuis la Renaissance : l'art abstrait. Divers mouvements abstraits se développent en un nouveau langage visuel, dans lequel la forme, la couleur et la ligne sont centrales.
En Belgique, le mouvement du modernisme abstrait a été actif entre 1919 et 1928. Cependant, il est vite apparu que la reconnaissance publique était très limitée à cette époque. Il faudra attendre 1959 pour que des artistes pionniers tels que Felix De Boeck, Karel Maes, Georges Vantongerloo et Jozef Peeters soient connus d'un plus large public. Si l'on veut véritablement valoriser et ouvrir cette période fascinante mais sous-estimée de l'histoire de l'art belge, il est nécessaire de mener des recherches systématiques pour caractériser et comparer la production artistique de ces deux époques.
L'une des questions les plus importantes concernant ce mouvement abstrait belge est de savoir s'il s'agissait déjà d'un mouvement à part entière dans la première période des années 1920 ou simplement d'un épigone de second ordre de groupes néerlandais et d'Europe de l'Est. Pour le déterminer, il convient de reconsidérer l'évolution artistique des artistes. Ceci est quelque peu problématique en raison du renouveau de l'appréciation de l'art abstrait après les années 1950, donnant lieu à deux phénomènes curieux : la reprise de compositions existantes et l'antidatation (figure 1). En effet, la datation correcte des peintures abstraites des années 1920 en Belgique fait l'objet de nombreuses discussions. Cela complique bien sûr la reconstruction de la chronologie de l'artiste. En outre, les connaissances issues des recherches en histoire de l'art et en archives sont limitées et doivent être enrichies par la connaissance des matériaux employés et de leur état de conservation.
La clé de la datation des peintures réside dans les matériaux utilisés. Des centaines de pigments organiques synthétiques (POS) ont été introduits principalement au XXe siècle, dont la date de découverte est souvent connue. L'identification des POS dans une peinture permet donc de définir une date de création la plus ancienne possible, ce qui peut aider à dater avec précision des œuvres éventuellement antérieures et à estimer dans quelle mesure des peintures existantes ont été retravaillées. Les liants ont également subi des changements radicaux, et peuvent donc aider davantage à la datation de ces peintures abstraites.
Pour cartographier l'évolution de l'utilisation des matériaux au fil du temps, il faut étudier de nombreuses peintures. Cela implique l'utilisation de techniques non invasives, notamment la macro-fluorescence de rayons X (MA-XRF), la macro-diffraction de rayons X sur poudre (MA-XRPD) et le balayage infrarouge par transformation de Fourier. En combinaison avec des techniques d'imagerie plus traditionnelles telles que la photographie UV, la réflectographie infrarouge et la radiographie X, ainsi que les mesures Raman ponctuelles non invasives, toute une gamme de techniques est désormais disponible et permet une étude matérielle-technique détaillée de nombreuses peintures, avec un accent particulier sur les peintures de Felix De Boeck. Les liants peuvent être étudiés de manière non invasive jusqu'à un certain niveau, mais des micro-échantillons sont nécessaires pour une caractérisation plus détaillée par pyrolyse-chromatographie gazeuse -spectrométrie de masse (Py-GCMS) et chromatographie liquide orbitrap-spectrométrie de masse (LC-orbitrap-MS).
Une véritable réévaluation du modernisme abstrait belge n'est pas possible sans montrer ces tableaux à un large public. Mais cela n'est pas sans risque. L'introduction rapide de nombreux nouveaux matériaux dans la première moitié du XXe siècle peut aujourd'hui poser des problèmes. Un nombre limité d'études indique le manque de photostabilité de certains de ces pigments modernes (figure 2) et l'effet négatif qu'ils ont sur le liant. Il est urgent de mener des recherches plus approfondies sur les POS afin d'évaluer leur stabilité et de comprendre leur comportement dans une matrice de peinture.
Le projet a donc plusieurs objectifs qui sont fortement liés entre eux. L'objectif principal est la réévaluation du modernisme abstrait belge et son positionnement correct dans un contexte culturel-historique et global par le biais d'une recherche matérielle-technique approfondie utilisant principalement des techniques d'analyse non invasives, complétée et soutenue par une recherche sur l'histoire de l'art. L'étude de deux périodes importantes pour le modernisme abstrait belge - les années 1920, peu après l'introduction du POS, et après 1950, lorsque le POS est bien établi - permettra de cartographier l'essor du POS. La présence de POS et probablement aussi de liants synthétiques dans les peintures modernes nous permettra d'identifier les œuvres antérieures ou retravaillées et de les resituer dans leur véritable contexte historico-culturel. Enfin, l'observation et l'étude de la photostabilité de ces matériaux relativement nouveaux dans une matrice de peinture réelle permettront de mieux comprendre leur comportement à long terme. Ces informations pourront ensuite servir de base à d'autres recherches sur la conservation préventive et pourront également être utilisées dans l'étude des peintures antérieures.
Vers la fin du projet, une exposition centrée sur les peintures les plus importantes étudiées sera organisée au musée FeliXart. C'est aussi le moment idéal pour mettre en avant les techniques d'analyse et illustrer comment le pont est fait entre la recherche en histoire de l'art et la technologie analytique de pointe.