Projet de recherche BR/154/PI/SYMDIV (Action de recherche BR)
DESCRIPTION DU PROJET
Les insectes sont extrêmement polyvalents dans la mesure où ils sont capables d'exploiter un large éventail de niches alimentaires. Ceci ne semble pas être lié à leur flexibilité métabolique, mais dépendrait plutôt de l’étroite interaction existant entre l’insecte et son microbiome intestinal. En effet, les insectes se nourrissant principalement de tissus végétaux indigestes à faible valeur nutritive, le microbiome intestinal joue un rôle important dans le processus de conversion des aliments en éléments nutritifs essentiels. A leur tour, les insectes peuvent développer des voies métaboliques qui leurs permettent de surmonter les mécanismes de défense mis en place par les plantes, dont l’élimination des toxines végétales ingérées. De nombreuses études ont démontré que les bactéries joueraient un rôle majeur dans ce processus de désintoxication, rendant ainsi le tissu végétal comestible pour l'insecte. Elles pourraient même aider dans le processus de transformation des composés végétaux en substances naturelles chimiques tels qu’en phéromones utilisées par l'insecte. Par conséquent, des symbioses mutuelles microbiennes permettraient aux insectes de manipuler la physiologie des plantes à leur propre
bénéfice et auraient un rôle majeur dans la détermination de l’éventail de leurs plantes hôtes. L’évolution de la composition de la flore intestinale chez les insectes phytophages représenteraient donc un processus adaptatif clé, supportant notamment la coévolution et pouvant jusqu’à conduire à des phénomènes de spéciation chez les insectes ainsi que chez leurs plantes hôtes.
Le présent projet se concentrera sur l’étude des relations entre la diversité du microbiome des insectes et le choix d’hôte chez les téphritides. Environ la moitié des 4500 espèces de mouches des fruits présentement décrites au niveau mondial se nourrissent de fruits. Par ailleurs, leurs stades larvaires se développent également à l’intérieur d’une grande variété de fruits. Parmi ces dernières, on compte certaines des plus notoires espèces ravageuses horticoles et agricoles au monde. Les mouches des fruits peuvent être monophage (plantes hôtes appartenant à une espèce particulière), sténophage (un genre particulier), oligophages (une famille particulière) ou polyphage. Le type d’alimentation sélectionné par les larves est considéré comme hautement lié à leur microflore intestinale, bien que les relations symbiotiques entre microbiotes et mouches des fruits soient encore mal étudiées à ce jour.
Notre objectif sera dès lors d'étudier l'association existant entre les mouches des fruits et leur microflore intestinale en comparant la composition des communautés de microbiotes au sein de différentes espèces présentant diverses stratégies alimentaires: de la monophagie stricte à la polyphagie extrême. Le projet se concentrera principalement sur les bactéries car les dernières études dans ce domaine ont indiqué qu'elles joueraient un rôle primordial dans l'évolution adaptative de leurs hôtes insectes, comme par exemple au niveau métabolique en contribuant à une bonne assimilation des éléments nutritifs, ainsi qu’au niveau du processus de désintoxication et de protection. L'hypothèse principale étant que la diversité ainsi que la composition de la flore intestinale soient corrélées à la niche alimentaire des différentes espèces d’insectes phytophages étudiés. Ce projet fournira une bonne base nécessaire aux futures recherches innovantes qui seront réalisées au niveau des interactions entre le microbiome, l’insecte et son éventail d’hôte ainsi qu’au niveau des processus métaboliques impliqués dans ce type de symbiose.
Pour ce faire, nous allons utiliser une technique de séquençage métagénomique afin de cibler l'ARNr 16S des espèces présentes au sein du microbiome localisé dans l’intestin de certains insectes nuisibles et largement répandus. En effet, cette approche permettra (1) de directement obtenir les génomes microbiens sans avoir recours à une mise en culture préalable, donnant ainsi également accès à des taxa incultivables et (2) d’échantillonner ces communautés avec une précision sans précédent. L’analyse des données métagénomiques générées va nous permettre d’avoir un aperçu détaillé de la flore intestinale présente chez les téphritides. Cette information sera notamment utilisée afin d’adapter les stratégies d'isolement et de culture des microbiotes. La culture des bactéries dans un second temps est importante parce (1) qu’elle permettra une identification plus précise et permettra la description de nouvelles espèces éventuelles en détails, et (2) qu’elle donnera la possibilité de conserver les cultures au sein de banques (BCCM / LMG- collections de bactéries) pour de futures recherches.
Alors que le Musée royal de l'Afrique centrale (MRAC) possède une connaissance approfondie en systématique et phylogénie des mouches des fruits, le laboratoire de Microbiologie de l'Université de Gand (GU), qui gère également la collection du BCCM/LMG pour les bactéries (financée par BELSPO), possède une solide expérience dans l'étude de la diversité microbienne. Réunir ces deux centres d'expertise, tout en explorant de nouvelles technologies en génomique, se révèle donc être complémentaire et permettra d’importantes avancées au niveau de la recherche sur les insectes nuisibles.
Par ailleurs, nos résultats auront un impact dans plusieurs domaines clés. Scientifiquement, le rôle des symbiotes dans l'évolution et dans la diversification d'hôte est reconnu, mais reste encore relativement peu étudié. Dans le domaine de l'agriculture, les mouches des fruits sont l’un des principaux groupes d'organismes nuisibles, comprenant des espèces potentiellement invasives et dangereuses pour la santé des plantes et la production agricole. Une meilleure compréhension de la relation existant entre la composition du microbiome intestinal et le choix de l’hôte pourrait fournir des informations utiles afin de développer des stratégies de lutte contre ces ravageurs en ciblant certaines activités microbiennes spécifiques. En outre, l’analogie entre le processus de désintoxication des substances végétales consommées par la flore intestinale d’une part et les insecticides d’autre part, suggère qu'il pourrait y avoir un lien entre l'adaptation de la plante hôte et la résistance aux pesticides qui a des conséquences pour l'agriculture, l'utilisation des pesticides et la sécurité alimentaire. Bien que le présent projet soit limité en temps et en ressources, ne permettant ainsi pas d’explorer ce lien, il fournira des données de référence utiles pour des études ultérieures.
Les résultats attendus de ce projet sont: des bases de données publiquement mis à disposition relatives aux inventaires moléculaires de microbiotes bactériens chez les mouches des fruits présentant différentes stratégies d’alimentation; des isolats de bactéries identifiées, cryo-conservés et déposés dans la collection du BCCM/Bactéries, et mis à disposition pour d'autres recherches; des articles scientifiques évalués par des pairs. Les possibilités futures comprennent la caractérisation détaillée des souches bactériennes pour leur séquence du génome, ainsi que leurs capacités métaboliques et leurs résistances aux antibiotiques. Cette connaissance pourra notamment être utilisée pour mettre en place des expériences avec différentes espèces hôtes afin de vérifier des hypothèses sur la nature des interactions identifiées en milieu contrôlé