Projet de recherche SO/02/063 (Action de recherche SO)
Ce projet visait des concepts et pratiques de solidarité dan trois domaines sociaux et politiques : l’immigration (plus précisément l’immigration récente et clandestine), le logement (le logement social et le problème des sans-abri), et la sécurité (le ‘dérangement’). Exécuté par une équipe multidisciplinaire (composée d’anthropologues linguistes, géographes et criminologues), le projet prenait comme point de départ le caractère pluriforme et dynamique des systèmes de solidarité – chose qui nécessite une analyse sur plusieurs échelles et niveaux, et dirigée autant vers les concepts que vers les pratiques de solidarité. L’analyse comportait donc un examen des documents politiques et institutionnelles, des études socio-géographiques, économiques et autres, aussi bien qu’une période d’intenses fouilles sur le terrain dans des quartiers bruxellois marqués par une problématique socio-économique aigue (et perçus comme tels), dans lesquels se trouve une abondance d’acteurs formels et informels d’allocation de solidarité.
Nous identifions trois niveaux de recherches :
1. La durée, le niveau des transformations profondes et vastes dans le système social et politique, tel l’évolution internationale d’une société fordiste vers une société post-fordiste, et la croissance d’une tendance extrême droite depuis les années 1990 en Belgique. L’évolution vers un système sociopolitique post-fordiste est un phénomène mondialisé qui démarre après la crise économique des années 1970, et marqué par une attaque à l’Etat-providence classique fordiste. Il se manifeste dans le domaine de la solidarité par une individualisation des concepts de solidarité et de prospérité ; une sélectivité croissante dans le système d’allocution des bénéfices, liée à une idéologie d’efficacité qui pousse l’Etat vers un rôle plus modeste, dans une synergie avec un secteur privé et ONG en expansion. L’extrême droite introduit, depuis les années 1990, une dimension de sélectivité dans le discours public sur la solidarité, axée aussi bien sure les relations communautaires que sur la présence des immigrés. En couple avec la tendance post-fordiste, l’influence de l’extrême droite dirige la conceptualisation en vigueur de la solidarité dans une direction de sélectivité et d’exclusion.
2. Le développement du consensus politique – phénomène qui se déroule dans l’espace nationale et sur une échelle historique moins vaste. Une analyse des documents politiques depuis 1973 montre que les trois domaines (dans leur forme actuelle de problème central politique et social), sont d’une origine récente, et que notamment la percée électorale du Vlaams Blok en 1991 joue un rôle important dans leur genèse. Les développements plus lents du post-fordisme se laissent sentir dans une tendance claire vers une sélectivité plus importante, une préférence officielle pour les public-private partnerships dans la pratique d’allocation du système de solidarité, et une individualisation de la conceptualisation des problèmes sociaux et les remèdes de ces problèmes. Dès que ces trois domaines apparaissent comme priorités politiques, ils connaissent une professionnalisation avancée comme domaine politique et pratique – développement d’un lexique technique, de complexes pratiques administratives, et d’une classe de professionnels – qui entraîne une fragmentation dans des divers pratiques et pouvoirs d’un phénomène social qui, en réalité, se présente souvent comme un complexe indissoluble. L’immigration, le problème des sans-abri, et le problème du dérangement sont souvent trois points de vues possibles sur une seule phénoménologie sociale. La prolifération de critères, procédures et restrictions qui suit cette fragmentation s’annonce comme un problème pratique important.
3. La solidarité dans la vie quotidienne. Le niveau le plus bas et à l’échelle de l’histoire immédiate est celui des pratiques et discours qu’on trouve sur le terrain. Notre analyse des données construites pendant les fouilles dans les quartiers bruxellois (Chaussée d’Anvers - Gare du Midi – Marolles - Molenbeek) confirmait les analyses sur les niveaux plus hautes. La tendance de l’Etat d’entrer dans des partnerships avec des acteurs privées et ONG à en effet produite une complexité énorme (p.ex. dans le domaine de la sécurité), qui est perçue par chacun (clients aussi bien que providers) comme un problème. La multiplication des critères, procédures et restrictions produit une incertitude auprès des clients à propos de leurs droits et chances d’obtenir des bénéfices ; après des employés des secteurs public, privé et ONG, elle produit un sentiment d’inefficacité qui mêne, parfois, vers une informalisation de l’assistance à certains clients (arrangements de loger clandestin, du boulot ‘au noir’).
Le groupe le plus vulnérable dans ce système plus sélectif est celui des immigrants clandestins. Leur statut administratif leur pousse vers un marché informel de travail, de logement et de support social. Dans le cas où ils sont exclus de ce marché, ils se trouvent dans des situations précaires, et deviennent rapidement des ‘problèmes de dérangement’. Le facteur critique dans ce processus est le logement : ceux qui ne réussissent pas à trouver un abri sur le marché formel ou informel sont vites catégorisés comme problèmes de sécurité, et criminalisés par les services publics et privés de sécurité. La dualisation de la société – effet de la transformation post-fordiste – dans se sens produit la pénalisation du social.
