Projet de recherche TA/00/38 (Action de recherche TA)
Problématique
La composition multiculturelle de la société belge, de plus en plus marquée ces dernières années, confronte l’Etat et ses institutions aux défis du pluralisme juridique non-officiel, c’est-à-dire à la coexistence, en parallèle à la justice étatique belge, de cadres normatifs non-étatiques et de mécanismes de résolution de conflits basés sur des traditions culturelles et/ou religieuses. Toutefois, à l’heure actuelle les formes et la nature de ce pluralisme juridique non-officiel ne sont pas ou très peu documentées. Afin de pallier cette absence de données empiriques, la recherche vise à établir tant la réalité et l’étendue du recours par des personnes d’origine immigrée à des forums de résolution de conflits qui ne ressortent pas du droit étatique, que l’éventuelle importance d’ordres normatifs non-étatiques dans leur vie familiale. Sur cette base, le projet dégagera de manière comparée dans quelle mesure ces communautés recourent – ou non – à la justice belge, à des forums non-étatiques ou encore aux appareils de justice étatique des pays d’origine. La recherche offrira donc une meilleure compréhension du recours aux modes de résolution de conflits non-étatiques tout en les analysant sous l’angle du respect des droits de l’homme. De cette manière, il sera possible de formuler des propositions relatives au traitement des zones de tensions possibles entre ces pratiques alternatives et la protection des droits de l’homme. Il conviendra également de déterminer si la diversité normative peut éventuellement jouer un rôle en tant que dimension des politiques d’intégration.
Buts et objectifs de la recherche
La recherche vise à produire une connaissance empirique solide relative aux pratiques juridiques non-officielles en matière familiale des communautés d’origine immigrée importantes en Belgique. Sur la base de ces données empiriques, le projet cherchera à identifier les différentes options politiques possibles pour gérer ce type de pluralisme juridique non-officiel, notamment en matière de protection des droits individuels des membres de ces communautés mais également de celle des droits découlant de l’appartenance à une minorité.
Le premier objectif de la recherche est de répertorier les pratiques « alternatives » de résolution de conflits parmi a) les communautés marocaines, turques, congolaises, pakistanaises et Rom de Bruxelles ; b) les communautés marocaines, turques et Rom d’Anvers ; c) les communautés turques et Rom de Gand ; d) les communautés congolaises et marocaines de Liège. Le deuxième objectif consiste à reconstituer les perspectives et les parcours des utilisateurs de ces cadres non-étatiques de résolution de conflits, ainsi qu’à comprendre les raisons pour lesquelles ils les investissent afin de mener une discussion informée sur les possibilités d’aménager la diversité normative en Belgique. Enfin, il s’agira d’identifier les zones potentielles de tension entre les pratiques juridiques alternatives et la protection des droits de l’homme en vue d’une meilleure harmonisation a) au regard des droits individuels des membres des communautés mais également b) de celui des droits des minorités.
Méthodologie
Outre une revue de la littérature existante, la méthodologie de cette recherche repose principalement sur une recherche de terrain. Différentes techniques d’enquête d’anthropologie juridique seront combinées afin de reconstituer le point de vue, « émique », des utilisateurs de mécanismes non-étatiques ainsi que leurs parcours entre ces différents forums. Elles comprennent (1) des entretiens semi-structurés avec des représentants des communautés d’origine immigrée, des leaders religieux ou « communautaires », des travailleurs sociaux, ainsi qu’avec des personnes d’origine immigrée ayant vécu un conflit conjugal ou familial ; (2) des entretiens semi-structurés avec des acteurs étatique à propos des politiques et des pratiques actuelles de l’Etat à l’égard du pluralisme juridique non-officiel en matière familiale ; (3) une première série d’entretiens semi-structurés et de discussions de groupes avec les membres de ces communautés et les intervenants non-étatiques en matière de conflits familiaux à propos du rapport entretenu par ces mécanismes alternatifs avec la protection des droits de l’homme, combinée avec l’observation de séances de résolution de conflits et la reconstitution de cas emblématiques (études de cas) ; (4) une deuxième salve d’entretiens semi-structurés et de discussions de groupes avec les utilisateurs de mécanismes alternatifs à propos des tensions qui pourraient exister en matière de protection des droits de l’homme, ainsi que sur la nécessité d’aménager la diversité normative en matière familiale. (5) Une conférence intermédiaire réunira des participants étatiques et non-étatiques pour discuter de l’analyse des premières données empiriques.
Résultats et produits attendus
Les données empiriques et la discussion théoriques résulteront dans la rédaction d’un rapport final qui comprendra : (1) un répertoire des différents mécanismes juridiques non-officels par communauté ; (2) une analyse comparée des résultats entre les différents groupes ; (3) une analyse exploratoire des résultats pour situer l’importance relative des différents mécanismes non-étatiques par rapport aux recours aux appareils de justice étatiques belges et/ou étrangers ; (4) une discussion des défis posés en matière de protection des droits de l’homme et les différentes stratégies permettant d’y répondre ; (5) une discussion des pratiques et politiques actuelles en matière de pluralisme juridique non-officiel ; (6) une discussion sur les différentes options d’aménagement de la diversité normative en Belgique. Une conférence internationale de clôture sera organisée à Bruxelles pour la présentation des résultats de la recherche ainsi que ceux de recherches menées à propos du pluralisme juridique non-officiel dans d’autres pays européens.
Les produits incluront une conférence intermédiaire nationale qui permettra de présenter les résultats préliminaires aux personnes intéressées, ainsi qu’une conférence de clôture qui permettra de diffuser les résultats de la recherche vers le grand public et les décideurs.